Aussi loin qu'il puisse s'en souvenir, Nausicaa ne se rappelle même pas avoir déjà foulé le sol des rues d'Athènes, sans doute était-il trop jeune pour se remémorer la magnificence de cette ville européenne qu'il semble aujourd'hui renier. Si nombreux sont les hommes et les femmes aimant acclamer leurs origines, lui, il a plutôt fait profil bas, sans doute à cause de son complexe d'infériorité qui n'a fait que le grignoter depuis sa plus tendre enfance. Il n'avait alors que trois – ou peut-être quatre – ans lorsque monsieur et madame Ioannis décidèrent de s'installer dans la charmante cité de Leeds, dans le désir de découvrir de nouveaux horizons et un mode de vie s'apparentant plus à leurs caractères. Ses parents étaient en effet loin d'être les personnages les plus invisibles. Plongés dans le mouvement Punk et Rock dès leurs plus jeunes années, le destin a voulu qu'ils se rencontrent puis qu'ils s'aiment avant de faire le choix idiot de donner naissance à un enfant qu'ils voulaient martyriser dès son arrivée sur terre en l'appelant Nausicaa. En vérité, Nausicaa aurait dû être une fille, et, ironie du sort, c'est un garçon qui a jailli de l'intérieur des cuisses de la jeune femme. Mais Nausicaa, ils trouvaient ça joli, vous savez, alors, à quoi bon changer ? Eux qui adoraient l'originalité, ils avaient pris l'initiative de créer une entité nouvelle de toute pièce, par leur propre soin. Et dire que tout ça ne débouchera que sur une pauvre épave.

Il a grandi plus ou moins normalement, dans une vie modeste, sans épreuves à surmonter, sans défunts à pleurer. Sa vie, il l'a pourri un peu tout seul en fait, parce que, dès son plus jeune âge, il avait peur de tout. Il fuyait les autres, il préférait la solitude à l'attachement parce qu'il avait peur d'être mal jugé, d'être une mauvaise personne. Il s'habillait mal, il ne se regardait jamais dans le miroir, et le plus triste dans tout ça, c'est que ça n'a toujours pas changé aujourd'hui. Toujours aussi discret, toujours aussi médiocre, le petit des Ioannis avait pourtant une intelligence hors du commun, un sens de la déduction inné. C'était peut-être pour cela, conscient de ses capacités, qu'il s'était dirigé vers des études de psychologie. Passionné par l'univers de la police scientifique, et notamment les psychopathes, cela lui apparaissait comme l'unique vocation que d'être un psychologue criminologue. Il avait grimpé les échelons rapidement, seul, sans jamais avoir de lien avec qui que ce soit. Il réussissait au moins dans la vie professionnelle alors qu'il avait échoué dans la vie sociale. Il n'aime pas les filles comme les autres hommes peuvent les aimer. Il s'en est rendu compte arrivé à l'adolescence, et pourtant, ce sujet est resté à jamais tabou. De toute manière, ses uniques expériences amoureuses se sont faites derrière un écran, avec de parfaits inconnus, dans des relations durant au maximum quatre ou cinq semaines. Mais ça lui fait peur, de toute façon, de partager sa vie avec quelqu'un. Surtout avec un homme, à vrai dire. Que penserait la société s'il se montrait en tant qu'homosexuel assumé ? Rien que le fait d'y penser, il en est effrayé.

Nausicaa était arrivé au bout de son parcours scolaire, prêt à entrer dans le vrai monde du travail et c'est alors que sa conscience lui laissait le choix de devenir un homme ou de demeurer un enfant craintif. Comme vous vous en doutez, il avait pris la fuite Comme un enfant craintif. Parce que ça lui fait peur d'avoir un tel métier, de tout rater, de devoir assumer ses responsabilités alors le voilà facteur.
Il devient un facteur, un ermite, un loup solitaire. Nausicaa n'a jamais réussi à reprendre confiance en lui, à se demander si son cerveau a été remplacé par un vulgaire légume. De ce fait, il s'invente des vies, il sourit faussement quand il doit apporter le courrier et quand on essaye de sympathiser avec lui il s'appelle Wolfgang, Will, parfois Mike, Joshua, Jimmy, Adrian et j'en passe. Il a en lui des milliers de facettes mais jamais il n'a su fait ressortir celle qui lui est propre.