Dimanche matin, sortie de messe. Occasion parfaite pour dérober quelques portefeuilles sans pouvoir se faire prendre. La foule permettait de se dissimuler facilement parmi tous les gens à la sortie de l'église et le fait d'être oppressé les uns contre les autres ne donnaient pas le temps de se rendre compte que l'on vous faisait les poches. Je suis devenu un expert en la matière et depuis, je le fais plus par jeu que par nécessité. Je devais l'admettre, un tel acte devant une église n'était pas très catholique. Mais pour vivre, il fallait bien faire quelques dérogations aux fameux dix commandements. Si Dieu a fini par chasser l'Homme du jardin d'Eden, il ne fallait pas qu'il s'attende à ce que ce dernier ne vole pas. Nous sommes misérables, répétait Blaise Pascal, parce que Dieu nous a fait immensément petit. Faible et minable. Et donc, parfois, transi par la faim. A ce stade là, le vol devenait l'unique moyen de survie.

Je m'appelle Gael McFlurry et je commence à voir le début de mes vingt-quatre ans. Je suis né à Leeds, et on ne peut pas vraiment dire que ma vie est formidable. Je suis à la rue depuis deux ans déjà mais tout va bien, je ne m'en plain pas. Je suis habitué à présent et je ne fais plus vraiment attention au regard des gens lorsqu'ils me voient se vautrer sur un sandwich laissé par une humble personne qui n'avait plus faim. Je sais ce que vous vous dites : Si jeune et vivant déjà comme un clochard, « mais pourquoi ne trouve-t-il pas de travail ? » Tout simplement parce que personne n'a voulu de moi. Les temps sont difficiles, les gens préfèrent employer des personnes plus expérimentées et surtout plus présentables. Moi, avec mes cheveux en bataille et mes vêtements trop grands pour moi, aucune chance. Du coup, je vis au jour le jour mais vous savez quoi ? Je m'en fiche. Je m'en moque parce que je suis libre. Dehors il n'y a personne qui vous dit comment on doit s'habiller, se coiffer, parler et agir. Il n'y a que moi et moi seul et c'est bien comme ça. Mais pour en arriver là, il s'en est passé des choses... et je vais commencer par le début. Je suis né un jour de pluie. Pas étonnant, lorsque l'on vit dans un pays comme l'Angleterre, ça n'avait rien de très extraordinaire. Le temps était gris et humide, on entendait des gouttes clapoter contre les tuiles du toit de l'hôpital. Mes parents, je ne peux pas vous dire grand chose sur eux. A vrai dire, je les ais perdu un peu après mes cinq ans, dans un accident de voiture. Le plus ironique, c'était qu'ils rentraient d'un voyage en Amérique du Sud après avoir échapper à un crash en ratant leur avion, et revenaient me récupérer chez mes grands parents. Ils étaient tous les deux reporter et aventurier, si bien qu'ils voyageaient beaucoup. C'est donc mes grands parents qui m'ont élevé. Plus ma grand mère en fait, car mon grand père s'est éteint deux ans après l'accident de mes parents. Pauvre vieille femme, elle s'est retrouvée à ma charge et avec sa maigre retraite, elle me payait la nourriture, les études et de quoi vivre à peu près convenablement. On ne voyageait jamais et on se faisait pas de folie non plus. Pour Noël, elle m'achetait des oranges « comme au bon vieux temps ». Bah, c'était sympa de sa part ! Et mine de rien, j'étais très content de cette petite attention. Pas qu'elle soit particulièrement pauvre, remarque. Mais il fallait pas non plus aller trop loin dans les dépenses, c'était tout.
J'ai grandi normalement. J'ai même appris à jouer tout seul au piano, héritant de celui de mes parents décédés. Ma grand mère disait que sa fille, autrement dit ma mère, avait eu le droit à des leçons durant son enfance et j'avais son « don » pour cet instrument. Je n'étais pas non plus virtuose, mais j'arrivais à faire quelque chose de sympa. J'avais une bonne oreille musicale, voilà tout. Ma mamie me racontait souvent des anecdotes sur mes parents, si bien qu'ils vivaient encore à travers ses récits, en quelques sortes. Je ne savais jamais si je devais être triste ou pas. A vrai dire, je ne les avaient pas connu énormément et aujourd'hui, ne me restait que quelques images, comme des flash, dans ma mémoire. En revanche, chaque année je ne manque pas de me recueillir sur leur tombe. Parce que tout de même, ce sont eux mes parents et c'est à eux que je dois la vie.

Ma grand mère a rejoint le reste de sa famille dans l'au-delà lors de mes vingt-et-un ans et je me suis retrouvé complètement seul. J'ai réussi à tenir durant un an, en vendant un à un les objets de l'appartement dans lequel nous vivions tout en continuant à payer le loyer. Et puis vint le jour où j'ai du faire mes valises et quitter les lieux. Maigre valise. En fait, ça ressemblait plutôt à un petit sac à dos. Tout le reste avait été saisi par les huissiers, dont le pauvre piano de ma mère. Cela m'avait fait mal au cœur lorsque je l'ai vu se faire emmener mais il avait fallu faire des sacrifices. De toute façon, je m'étais juré de le récupérer un jour ou l'autre.

Dimanche matin, sortie de messe. Occasion parfaite pour dérober quelques portefeuille sans se faire prendre. Je me glissai parmi les gens qui se souhaitait une bonne journée en y fourrant mes mains un peu partout. J'avais profité de toute la durée de la messe, et notamment du don d'argent, pour visualiser où les gens rangeaient leur petit pactole. Il ne restait plus qu'à prendre, et l'avantage d’avoir de grandes poches à ce moment là, c'était celui là. Tout aurait pu se passer tranquillement si je n'avais pas entendu tout à coup :

« Hey ! Toi là !  Au voleur !»

Réalisant que l'on s'adressait à moi, je restai tout d'abord figé par la stupeur, comme si un spot de lumière se braquait soudainement sur moi, avant de prendre les jambes à mon coup. Manque de pot, la police se trouvait dans la rue à ce moment là et je me voilà engagé dans une course poursuite dans laquelle je courrais comme si ma vie en dépendait – ce qui était un peu le cas d'ailleurs -. Fort heureusement, je parvins à les semer grâce à mon dur entraînement d'escaladage de grillage et de dissimulation express dans une grande benne, en dessous des poubelles. La police abandonnait, comme d'habitude, en pensant que j'avais réussi à courir plus vite qu'eux et à m'enfuir dieu sait où. Bon, c'est vrai, il m'arrivait parfois de ne pas être assez rapide et de me faire prendre. Mais ça se terminait toujours de la même manière : "c'est vraiment pas bien ce que tu as fait! Mais les gens ont décidé de ne pas porter plainte, ce ne doit pas être facile pour toi."
En ressortant de la benne à poubelle, je me débarrassais de quelques déchets accrochés à mes vêtements avant de m'intéresser à mon butin. Et là, commence mon rituel du dimanche : première étape : se diriger dans son abri afin d'y cacher ses nouvelles acquisitions et ressortir avec une pince à cheveux et un sac fourre-tout. Deuxième étape : rendez vous à l'université, déserte le Dimanche, et y pénétrer en crochetant quelques serrures pour m'amener tout droit au gymnase. Troisième étape : douche parce que mine de rien, j'avais beau vivre à la rue, j'avais un minimum d'hygiène. Quatrième étape : partir en quête de nourriture. Je ne parvenais pas toujours à franchir cette étape là, et dans quel cas, je me privais de repas jusqu'à ce que l'occasion ne se pointe, mais sinon j'occupai mes journées comme je le pouvais. A profiter de mon expédition dans l'école, par exemple. J'aimais bien me retrouver là où je ne devrais pas être sans que personne ne soit là. C'était ça, la liberté. Parfois, lorsque mon butin était assez grand, je me faisait une folie d'une nuit ou deux à l'hôtel. C'était bien, mine de rien. Voilà, voilà.